FAMILLE CLINARD-HUBAC
Arthur Clinard est né en 1829 à Châteaudun en Eure-et-Loir d'un père menuisier. Il est marié depuis 1855 avec Clémentine Marteau, originaire de Beaugency dans le Loiret. Ils ne sont donc pas dionysiens.
Quand ils se marient, Arthur n'habite plus Châteaudun mais Orléans. C’est ici que leur fille ainée, Camille Amélie Pauline naît, le 3 janvier 1857. Le couple s'installera dans les années qui suivent à Saint-Denis, puisqu'ils vivent à partir de 1859 au moins, au 69 rue de Paris (actuelle rue Gabriel-Péri). Leur seconde fille, Isabelle Marie Amélie naît dans cet appartement le 18 juin 1859.
Arthur Clinard est inscrit sur la liste électorale municipale et politique de Saint-Denis en 1879
Archives Municipales de Saint-Denis, 1K124
Les Clinard font donc partie de ces nombreux migrants provinciaux qui augementent la population de Saint-Denis, qui connaît une très forte progression au XIXe siècle.
En 1877, Arthur et Clémentine Clinard ont respectivement 48 et 45 ans. Ils ont eu sept enfants dont quatre décédés très jeunes. Trois filles ont survécu, elles ont alors 15, 13 et 11 ans.
Arthur Clinard exerce, comme à Orléans déjà , le métier de peintre en bâtiment. Il est toutefois présenté dans les recensements de population comme entrepreneur de peinture, ce qui signifie qu'il n'est plus un simple ouvrier mais qu'il dirige désormais une entreprise dans ce secteur, sûrement florissante en ces temps de croissance démographique de la ville. Il a également fait partie de l’armée, et a pour cela reçu la Légion d’Honneur.
La famille Clinard est recensée au 6 rue des Ursulines à Saint-Denis en 1886
Archives municipales de Saint-Denis, 1F17
Le 5 mai 1877 ils achètent un terrain dionysien, à Marguerite Bouchard qui est veuve. Cette rentière habite alors au 6 rue des Ursulines. Elle vend le terrain nu pour 45 000 francs.
Extrait du cadastre de 1854 sur lequel apparait le terrain avant la construction de l'Immeuble Clinard
Archives Municipales de Saint-Denis, 10 Fi 11/1
Arthur Clinard et sa femme Clémentine Marteau, y font édifier un immeuble sur leurs « deniers personnels » dans les années qui suivent. Les sources montrent que les Clinard sont bien implantés à Saint-Denis. Les témoins présents lors des déclarations de naissance de leurs enfants sont en effet des artisans ou des commerçants de leur quartier.
La commune passe de près de 10 000 habitants en 1831 à plus de 50 000 en 1891 et à près de 72 000 en 1911.
L'expansion de la ville est largement liée, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, à l'industrialisation de la ville : proche de Paris, bien desservie par le chemin de fer qui s'y arrête depuis 1846, Saint-Denis devient un grand centre industriel, principalement tourné vers la chimie et la métallurgie, mais avec également des activités dans le textile, le verre...
En 1891, 13 000 ouvriers y résident et 18 000 y travaillent. On appelle la ville "Saint-Denis-la-Suie" ou le "Manchester français".
À la fin du XIXe siècle, un ouvrier gagne 4 à 7 francs par jour, un repas dans un bistrot coûte 1,20 franc.
Il n’est pas possible avec les sources disponibles de formuler une réponse certaine.
Mais on peut formuler des hypothèses.
Tout d'abord, les Clinard ont dans leur entourage familial des propriétaires vivant de leurs rentes, ce qui leur a probablement fourni un modèle à suivre. En effet, trois des quatre témoins à leur mariage étaient présentés comme propriétaires, c’est-à -dire rentiers. Il s'agit de l'oncle d’Arthur Clinard ainsi que du frère et de l'oncle par alliance de Clémentine Marteau.
De plus, dans les années 1870, cet immeuble représente très probablement une opportunité dans un territoire dynamique : Saint-Denis est un pôle industriel et commercial en transformation rapide en raison de son explosion économique et démographique.
Enfin, cet investissement est facilité par le fait qu'Arthur Clinard travaille dans le bâtiment, ce qui est un véritable atout quand on veut se lancer dans un tel projet. Il connaît très certainement les entrepreneurs auxquels il fait appel pour les travaux, et son entreprise intervient sûrement sur le chantier.
L'immeuble est livré au milieu des années 1880, les initiales AC du constructeur gravées au-dessus de la porte d'entrée.
Porte d'entrée de l'Immeuble Clinard.
Cédric David/AMuLoP, 2020
Arthur Clinard y installe son magasin et les premiers habitants occupent l'immeuble en 1884. Les Clinard finissent de rembourser l'achat du terrain en 1887, les premiers loyers ayant sûrement aidé à combler leurs dettes.
Les Clinard restent dans leur ancien appartement, situé au 6 rue des Ursulines, jusqu’en 1892, avant d’emménager dans leur propre immeuble. En tant que propriétaires occupants, les Clinard sont en mesure d'exercer un certain contrôle social sur leurs locataires.
Les noms d'Arthur et Clémentine Clinard sont présents (lignes 7 et 8) sur cet extrait du Recensement Général de la Population de l’Immeuble Clinard, 1901, Archives municipales de Saint-Denis, 1F23
Henry Hubac est né en 1835 dans un village de Lozère. Fils de cultivateur, il embrasse une carrière très éloignée de l'agriculture en devenant militaire. Il se marie en 1858, à 23 ans. Il est contremaître mécanicien de la Marine et habite à Toulon. Sa femme Sophie Heuzi, 22 ans, est quant à elle originaire de Bienne en Suisse. Fille d'un facteur, elle exerce le métier de couturière. Henry et Sophie Hubac ont cinq enfants, tous nés à Toulon. Une de leurs filles décède en bas-âge.
Ils vivront au moins vingt-cinq ans à Toulon, jusqu'en 1883. Pendant cette période, Henry Hubac monte progressivement en grade. En 1869, il est fait chevalier de la Légion d'honneur alors qu'il occupe le grade de mécanicien principal de la Marine. Il est co-auteur de deux ouvrages sur la navigation à vapeur publiés en 1876 et 1880.
Henry Hubac, A. Ledieu, M. Gilbert, Les nouvelles machines marines, supplément au Traité des appareils à vapeur de navigation mis en harmonie avec la théorie mécanique de la chaleur, Paris, Dunod, 1979 (première édition 1876).
Henry Hubac, A. Ledieu, M. Gilbert, Guide du capitaine et du mécanicien de la marine à vapeur du commerce, Paris, Dunod, 1880. Gallica/Bibliothèque Nationale de France
Peut-être a-t-il formé les ouvriers mécaniciens et chauffeurs servant sur les bâtiments à vapeur qui se créent à Toulon à cette époque.
Un père officier, décoré, lettré... Ce portrait nous permet de dire que les Hubac sont une famille de notables. En 1884, Henry fait valoir ses droits à la retraite et achève donc sa carrière sur les navires. La famille quitte Toulon pour s’installer à Saint-Denis.
Henry Hubac a réussi professionnellement. En 1884, il n'a que 50 ans et décide d’entamer une seconde carrière, dans le secteur civil cette fois. Les recensements de population mentionnent en effet son métier « d’ingénieur civil ».
Il travaille dès 1884 pour l’entreprise dyonisienne Delaunay-Belleville, spécialisée dans les générateurs de vapeur à tubes d’eau qui équipent tous les bâtiments de la Marine, les navires de commerce ainsi que la grande industrie en France comme à l’étranger. L’entreprise s’oriente au début du XXe siècle vers la construction automobile.
Saint Denis, Etablissement Delaunay-Belleville, éditions Léon et Lévy, entre 1905 et 1925
Archives départementales de Seine Saint-Denis, 49Fi/8493
La famille Hubac s'installe dans l’immeuble Clinard en 1884 avec leurs trois filles de 26, 17 et 13 ans, ainsi que leur fils de 21 ans, étudiant en pharmacie. Ils ont probablement habité au rez-de-chaussée gauche, dans l’appartement le plus spacieux, accessible par une porte rouge séparée qui leur permet une certaine indépendance. Leur domestique résidait quant à elle dans une chambre de bonne au dernier étage.
Façade de l'Immeuble Clinard
Cédric David/AMuLoP, 2020
Des liens se créent rapidement entre la famille Clinard, propriétaire de l’immeuble et la famille Hubac. En 1886, Henry Frédéric Hubac, fils ainé de la famille, épouse Lucie Clinard, une des trois filles des propriétaires. L'alliance entre ces deux familles bourgeoises n'est pas seulement matrimoniale mais également économique. Arthur Clinard n'ayant pas de fils, il transmet à son gendre la responsabilité de son entreprise de peinture.
Acte de mariage du 28 juin 1886 entre Henry Frédéric Hubac et Lucie Clinard
Registre des actes de mariage, Archives municipales de Saint-Denis, E248
Après leur mariage le jeune couple habite l’Immeuble Clinard, probablement dans l'appartement des parents Hubac (rez-de-chaussée gauche), jusqu'en 1888, date de leur déménagement au 62 rue de Paris.
En 1898, Henry Frédéric Hubac reçoit le diplôme de pharmacien de 1ère classe après de brillantes études à l'École supérieure de pharmacie de Paris. Il s’installe avec sa femme Lucie, à l'Île-Saint-Denis, à un quart d'heure à pied de l’immeuble Clinard. Pendant sa carrière, qui l'amène aussi à exercer à Paris, il mène des recherches sur les analyses biologiques et collabore à plusieurs revues scientifiques.
En 1904, Arthur Clinard, père de Lucie et propriétaire de l’immeuble meurt. On ne sait pas vraiment qui gère l’immeuble qui semble rester en indivision entre les mains de la famille. Peut-être sa femme Clémentine qui décèdera onze ans plus tard, ou Lucie Clinard et son conjoint Henry Frédéric Hubac.
Nous n'avons pas de certitudes sur ce point.
La Première Guerre mondiale vient perturber le quotidien des familles. Henry Frédéric Hubac assure bénévolement le service pharmaceutique de l'hôpital auxiliaire n° 43 de Saint-Denis, tandis que son deuxième fils, Emmanuel, est mobilisé, puis réformé en 1916 à cause d’une grave blessure au thorax. Il touche alors une pension d’invalidité.
Fiche matricule d’Emmanuel Hubac durant la Première guerre mondiale, n° 2225, Archives de Paris, D4R1 1746
La fiche matricule correspond à la page du registre tenu par l’armée
dans lequel toute la carrière militaire d'un soldat était inscrite.
En 1922, les sept descendants d'Arthur et Clémentine Clinard vendent l'immeuble dans sa totalité à la famille Audren.
En 1925 Henry Frédéric Hubac meurt après une longue « dépression générale » survenue après la Guerre, dont il est sorti surmené et très affecté par la blessure de son fils Emmanuel. Sa femme Lucie meurt l’année d’après en 1926.
Nécrologie d’Henry Frédéric Hubac publiée dans
le Bulletin des sciences pharmacologiques, 1926, Internet Archives
Néanmoins, les descendants des familles Clinard et Hubac continuent d’occuper l’immeuble. Les archives montrent des traces de cette famille jusqu’en 1968 au moins, ainsi que plusieurs épisodes de cohabitation intergénérationnelle. Quatre générations s’y sont succédé.
Les noms d'Alice et Emmanuel Hubac sont présents (lignes 21 et 22) sur cet extrait du Recensement Général de la Population de l’Immeuble Clinard, 1968, Archives municipales de Saint-Denis, 1F42
C’est la famille Clinard qui a fait construire l’immeuble qui porte son nom. Pour en apprendre plus sur leur vie et leurs projets, nous nous sommes posé des questions et nous avons formulé des hypothèses. La recherche dans les archives nous a permis de trouver certaines réponses.