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LES PETITS LOGEMENTS
Les appartements de 45m² accueillent sans doute dès le XIXe siècle des ménages modestes et composés de peu d’individus. Ils comportent deux chambres (dont une petite) et un bureau. Comme dans les grands appartements, la cuisine et les WC sont regroupés à gauche en entrant, à côté des tuyaux.
Immeuble Clinard, plan du 2e étage
Archive personnelle d'une habitante actuelle de l'immeuble
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Qui a vécu ici ?La famille Dudemaine a été la première à occuper cet appartement en 1886. Léopold Charles Nicolas Dudemaine est né en 1817 à Osmanville dans le Calvados. Son père est receveur de l’Enregistrement et des domaines du Roi au bureau d’Isigny. À 23 ans, Léopold devient secrétaire particulier du chargé d’affaires de France à Buenos Aires. Il fait carrière là-bas pendant 33 ans comme consul, et y rencontre probablement sa femme Maria Adela. De retour en France, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur le 11 octobre 1873 sur proposition du ministre des Affaires étrangères qui lui recommande de « persévérer dans le zèle consciencieux dont [il a] constamment faire preuve » . Le nom d'Adèle (Maria Adela) Dudemaine est présent à la dernière ligne de cet extrait du Recensement Général de la Population de l’Immeuble Clinard, 1896 Archives municipales de Saint-Denis, 1F21 L’installation de cette famille dans l’Immeuble Clinard n’est pas fortuite : le recensement général de 1881 indique qu’ils habitent au 9 rue des Ursulines, avec un seul autre ménage, les Clinard. Ils sont donc venus s’installer dans l’immeuble construit par leur ancien voisin. Ainsi, le recrutement des locataires par cooptation du propriétaire de l’immeuble apparaît ici clairement. À l’époque des Dudemaine, on peut imaginer un ameublement qui ressemble aux intérieurs parisiens mis en scène et photographiés par Eugène Atget vers 1900. « Intérieur de Mr. A., Industriel : Rue Lepic », Eugène Atget, 1910 ou 1911, Gallica/Bibliothèque nationale de France « Intérieur de Mr. F., Négociant : Rue Montaigne : La Cuisine », Eugène Atget, 1910 ou 1911, Gallica/Bibliothèque nationale de France
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Sur quels critères se fonde le recrutement des locataires ?La famille Dudemaine fait partie de l’élite locale. Son profil est celui de serviteur au sommet de l’Etat, tout comme dans la famille Hubac, qui était également locataire des Clinard avant que les deux familles ne nouent une alliance matrimoniale. Les Dudemaine ont eu quatre filles. Là aussi, c’est un point commun avec les Hubac qui ont plusieurs filles. Marie Dudemaine, âgée de 22 ans en 1886, est “dame de la légion d’honneur”, ce qui signifie qu’elle est éducatrice à la Maison d'Education de la Légion d’honneur. Ce nombre important de personnes décorées vivant le périmètre immédiat de l’institution éducative n’est sans doute pas un hasard. Maison d'éducation de la Légion d'Honneur de Saint-Denis - La basilique vue du Préau Carte postale éditée par Pierre Petit, scannée par Claude Shoshany, début du XXe siècle
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Comment expliquer la présence de ces élites à Saint-Denis ?À la fin du XIXe siècle, les personnes appartenant aux classes supérieures veulent donner une bonne éducation à leurs filles. Elles s’installent donc à proximité de la Maison d'Education de la Légion d'honneur, réservée en priorité aux filles, petites-filles et arrière-petites-filles des décorés français et étrangers de l'ordre de la Légion d’honneur, de la Médaille militaire et de l’ordre national du Mérite. La caserne militaire ainsi que le lycée de la Légion d’honneur sont des institutions dionysiennes où les élites se rencontrent et tissent des relations amicales et économiques. Pour attirer ces élites dans son immeuble, Arthur Clinard a construit un immeuble confortable, aux normes d’habitation modernes, encore assez rares en banlieue à l’époque. Toutefois ce n’est pas une habitation de luxe, comme en témoigne l’absence d’escalier de service et de cour intérieure.
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Comment évolue la fréquentation de cet appartement au début du XXe siècle ?Si l’immeuble est à la pointe du confort moderne dans les années 1890, il ne correspond pas aux standards des immeubles neufs destinés à la bourgeoisie, qui sont construits à partir des années 1910. Ces derniers disposent de WC intérieurs, de dispositifs de rangement et d’un équipement rationnel de la cuisine. Les normes de confort de l’Immeuble Clinard sont donc rapidement dépassées et dès lors il est plus difficile de trouver suffisamment de bourgeois pour habiter l’immeuble. Il connaît alors un déclassement du point de vue de l’origine sociale des habitants. Dès 1901, le recensement général de la population montre que les domestiques n’habitent plus au 5e étage. Les chambres de bonne de l’immeuble vont être alors louées à des personnes situées en bas de l’échelle sociale.
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Que se passe-t-il après la Première Guerre Mondiale ?Le moratoire sur les loyers voté par décret le 20 mars 1915 se poursuit dans la période d’entre-deux-guerres. Les loyers sont bloqués et beaucoup ne sont pas payés. Cela aboutit à une dégradation du bâti de l’immeuble par manque d’entretien de la part des propriétaires. La famille de Jules Ribot est la dernière à s’être installée dans ce logement à l’époque Clinard-Hubac, en 1921. Jules Ribot est un provincial qui a connu une relative ascension sociale dans l’armée coloniale. Il a participé à la la guerre du Tonkin en Asie de 1893 à 1896. L’expérience coloniale de cet habitant n’est certainement pas unique puisque l’Empire français est alors à son apogée. Cela provoque à la fois l’immigration des populations colonisées en métropole lors des guerres mondiales (notamment des Indochinois, présents à Saint-Denis), mais aussi le départ de nombreux français vers les colonies qui y cherchent des opportunités. Fiche matricule de Jules Ribot durant la guerre du Tonkin, 1891, Archives de Paris, 1 RPROV 80 La fiche matricule correspond à la page du registre tenu par l’armée dans lequel toute la carrière militaire d'un soldat était inscrite. Dans les années qui suivent la guerre, les grands logements sont de moins en moins habités par les élites locales comme autrefois. La bourgeoisie d’origine provinciale qui s’était développée à Saint-Denis est largement partie vers des banlieues moins industrialisées ou vers Paris. Ainsi, au recensement de 1921, seuls 8 logements sont occupés au lieu de 11 en 1911. C’est sans doute ces difficultés qui poussent les Clinard-Hubac à vendre leur immeuble à Benoni Audren à bas prix en 1923. Première page de la transcription hypothécaire des Clinard-Hubac à Benoni Audren, 30 mars 1923 DR
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Qui sont les nouveaux locataires choisis par Bénoni Audren ?Bénoni Audren, le nouveau propriétaire change alors ses critères de sélection des locataires. Lui-même issu d’un milieu assez populaire, il fait partie de la classe commerçante de Saint-Denis. C’est dans ce milieu qu’il trouve ses locataires. La famille Mélique-Gonin occupe alors cet appartement pendant quatre générations, de 1936 à 1968. Ce sont des commerçants dionysiens. Louis Mélique est orfèvre, sa femme Louise, est née à Saint-Denis en 1869. Leur fille Germaine née à Saint-Denis est libraire et son fils Gilbert, né en 1921, est boucher. D’après les archives, il est fort possible que cette famille connaissait la famille Audren bien avant d'emménager dans l’immeuble Clinard. En effet, ils ont aussi vécu rue de Paris. Germaine a habité au 92 rue de Paris, juste à côté de la boutique de mercerie des Audren puis au 78 de la rue avec ses parents. La mercerie Audren apparait dans l’annuaire Bijou qui répertorie, année par année, tous les commerces et toutes les entreprises de la ville. Indicateur Bijou des villes de Saint-Denis, Villetaneuse, Pierrefitte, 1925-1926, Archives municipales de Saint-Denis, 20 C 1/2 Si cette famille est restée plus de trente ans dans cet appartement, cela peut s’expliquer par le classement du logement en loyer bloqué en 1948. Ainsi, comme pour de nombreux logements (1 logement sur 5 en fait encore partie en 1970) les propriétaires n’ont pas le droit d’augmenter les loyers et ce malgré l’inflation. Les habitants suivants, après la vente de l’immeuble en lot, seront des employés de bureau. Ces recherches historiques nous permettent donc de comprendre que ces grands logements construits à l’origine pour la bourgeoisie dionysienne ont connu un fort déclassement en l’espace de 75 ans, qui s’est traduit par une moyennisation du peuplement.
Pour en apprendre plus sur l’histoire de ces appartements, nous nous sommes posé des questions et nous avons formulé des hypothèses. La recherche dans les archives nous a permis de trouver certaines réponses.
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