LES PETITS LOGEMENTS
Les appartements de 45m² accueillent sans doute dès le XIXe siècle des ménages modestes et composés de peu d’individus. Ils comportent deux chambres (dont une petite) et un bureau. Comme dans les grands appartements, la cuisine et les WC sont regroupés à gauche en entrant, à côté des tuyaux.

Immeuble Clinard, plan du 2e étage
Archive personnelle d'une habitante actuelle de l'immeuble
On peut se demander comment les propriétaires sélectionnent les locataires, d’autant que les Clinard-Hubac ne peuvent pas choisir parmi leurs fréquentations, qui font partie d’une classe sociale plus élevée. Ils doivent trouver des locataires modestes et fiables, dans la mesure où le paiement du loyer repose sur des rapports de confiance.
Le loyer est payable par trimestre : le 8 du mois s’il est inférieur à 400 Francs, et le 15 s’il est supérieur. On ne signe pas de bail mais un engagement de location écrit ou oral à durée indéterminée. Le mobilier sert de gage et la coutume veut que la location soit arrêtée par un « denier à Dieu » versé au concierge. On peut ainsi faire l’hypothèse que c’est justement le concierge qui intervient dans la sélection des locataires.
Les habitants des petits logements ont laissé moins de traces dans les archives et sont plus difficiles à situer dans l’immeuble, car ils se renouvellent plus fréquemment.
La vie des habitants des petits logements reflète l’activité économique dominante à Saint-Denis. De la fin du XIXe siècle, lors de la construction de l’immeuble, à la Première Guerre mondiale, les occupants des logements de 45m² sont surtout des travailleuses manuelles du textile ou des employés. Ainsi dans les recensements généraux de la population, on retrouve dans cet appartement la tricoteuse Catherine Balan et la couturière Léa Pelluet ou encore Louis Dhé, employé à la préfecture de police dont la femme est également couturière. L’activité textile est encore très présente à cette époque à Saint-Denis.
Le nom de Léa Pelluet est présent à la dernière ligne de cet extrait
du Recensement Général de la Population de l’Immeuble Clinard, 1896
Archives municipales de Saint-Denis, 1F21
Dans l'entre-deux-guerres, après le rachat de l'immeuble par les Audren, des ouvriers dans la grande industrie emménagent, comme les Quinard, qui habitent au 5e étage et dont le chef de famille est manoeuvre. Les anciennes chambres de bonne sont désormais occupées. On trouve aussi un ajusteur travaillant chez Christofle, et en 1936 des ouvriers au chômage, conséquence de la crise économique qui a sévit dans les années 1930. Ces ouvriers cohabitent avec des employés, toujours présents dans l’immeuble Clinard, comme M. Fauré, qui habite le 3e étage, contrôleur des contributions indirectes à Saint-Denis, et surtout Emmanuel Hubac, un des fils de Lucie Clinard et du pharmacien Henry Frédéric Hubac qui avait été gravement blessé pendant la Grande Guerre et qui vient s’installer au 4e étage en 1926. Difficile de ne pas voir dans son emmenagement, une forme de déclassement, mais peut-être était-ce aussi un moyen de se rapprocher d’autres membres de sa famille restés dans le quartier après la vente de leur bien en 1923.
Les noms de Léon Fauré (ligne 4) et de Charles Quinard (ligne 12) sont présents
sur cet extrait du Recensement Général de la Population, 1936
Archives municipales de Saint-Denis, 1F34
Après la Seconde Guerre mondiale, les locataires des petits logements ne sont plus des ouvriers ou des travailleurs manuels, ils appartiennent plutôt à la classe moyenne. Des comptables, des sténo-dactylos, des agents EDF, entre autres, emménagent dans l’immeuble. Alors que les grands logements sont habités par des classes moins prestigieuses qu’à l’origine de la construction de l’immeuble, on assiste à une revalorisation sociale des habitants dans les petits logements.
Si les commodités construites à la fin du XIXe siècle deviennent rapidement insuffisantes aux yeux de la bourgeoisie, elles sont en revanche de très bonne qualité pour les catégories moins favorisées.
La présence des WC modernes et de l’eau courante dans le logement ne va pas de soi, en particulier dans cette ville très ancienne qu’est Saint-Denis, où prédominent les fosses d’aisance. En effet, on compte, dans les années 1880 à Paris, un cabinet d’aisance pour 70 locataires en moyenne, et pour limiter frais de vidange les propriétaires recommandent souvent de ne déverser que du solide à la fosse, le liquide doit aller dans le caniveau.
Les archives municipales regorgent de correspondances adressées au service de l’urbanisme concernant des fosses d’aisance qui débordent, ne sont pas vidangées, etc. Cette situation prévaut aussi dans la rue de l’Immeuble Clinard : un courrier d’un habitant de l’immeuble voisin, envoyé au maire de Saint-Denis en 1933 signale que :
« La partie de la rue entre la rue de Paris et la rue Émile Courroy, reçoit dans le ca(nn)iveau longeant les numéros impairs, toutes les eaux résiduaires (.....) provenant de l’immeuble numéro 5. [...] Inutile de vous dire que les eaux sont polluées, car outre les eaux ménagères proprement dites, le ca(nn)iveau reçoit aussi, je ne .... pas le contenu, lui même mais tout au moins le rinçage des sceaux et vases de nuit.
Cette rue étant peu passagère, les enfants ont accoutumé d’y jouer, le danger du roulage y étant nul, mais comme ils barbo(tt)ent dans le .... ca(nn)iveau, que les balles vont souvent s’y promener et qu’ils les rattrapent, sans souci, je vous laisse penser dans quel état sont leurs mains. »
Courrier de P. Azaïs à M. le Maire de Saint-Denis, 18 novembre 1933
Archives municipales de Saint-Denis
Les conditions de ces logements sont bien au dessus de la moyenne pour les classes inférieures de la société. Mais avec l’importance croissante accordée à l’hygiène, surtout par la bourgeoisie et les classes supérieures, il n’est pas étonnant que ces dernières aient déserté la rue afin de vivre dans de meilleures conditions. Si Arthur Clinard a fait construire son immeuble selon des normes modernes, ce n’est pas le cas de l’immeuble voisin.
Pour en apprendre plus sur l’histoire de ces appartements, nous nous sommes posé des questions et nous avons formulé des hypothèses. La recherche dans les archives nous a permis de trouver certaines réponses.